Eh toi, l'enfant seule ! Oui, toi là-bas. Tu m'fais chier. Tu respires trop, tu parles trop, t'existes trop. Et si tu disparaissais un instant ? À la marche, au trot. Toi qui vois, mais dégage dans l'fond, au bout d'la classe, là où tu n'pourras plus faire de casse. Quand j'te vois débarquer dans la cour, je rigole d'avance. J'prépare les meilleurs ragot, ficelés durant ton absence. J'raconte que tu ne connais pas la douche, que tu vis dans un autre monde. Ta gueule, surtout, ne réponds rien. Même les profs resserrent les liens, te censurent la bouche. Moi j'me marre, ça m'fait rien. Quand j'sortirai du car, mes parents m'feront des câlins. T'es moche et t'oses donner un avis ? Non mais t'as vu ta gueule d'ahurie ? Va te cacher, te suicider, ici c'est la réalité. Entre deux cours, j't'observe d'un air vicieux. T'as une petite moue, des lunettes qui te mangent les yeux. Quand tu lèves la main pour poser une question, j'y vois une autre occasion. Je m'exprime d'une voix claire : « Faut être belle pour être hotesse de l'air. » Évidemment, ça ne suffit pas. Les non-dits, les quiproquos, les coups bas. Jalousie, ignonimie, tu penses à demain en subissant aujourd'hui. Réseaux sociaux, hashtag #KO, rumeurs à gogo, messages à chaud, j'te retourne à 1-0. Parait que ta saveur préférée, c'est l'escalier. Et que quand tu montres tes bleus au directeur, il minimise la couleur. Faudra pas qu'il s'étonne le jour où tu hurleras sur le sol et que tu regarderas tout l'monde comme une folle. T'as ployé plusieurs fois l'genou sous les mots et les coups. Pourtant t'arrêtes jamais. T'arrêtes jamais de t'exhiber, te montrer, t'exprimer, exister. Ça nous agace, on veut que tu te taises. Si tu dis rien, y aura pas d'malaise. Blabla et excuses à répétition. Certains profs t'écoutent, mais on s'en fout : tu nous dégoûtes. Eh toi l'enfant seule ! Oui, toi, là-bas. C'est de ta faute si on t'aime pas. Adapte-toi, transforme-toi, renonce à toi. En restant sur tes positions, tu les incites à t'comparer à un camion. Ils y peuvent rien, c'est peut-être toi qui prends les choses à cœur. J'ignore tes malheurs, tu surestimes ta douleur. T'inquiète, quand tu quitteras la classe, y aura pas de rancœur. J'dirai juste à tout le monde à quel point tu pleures. Eh toi l'enfant seule ! Oui, toi, là-bas. Permis d'faire de toi une tare, et ce du matin au soir. J'sais pas encore si j'regrette de t'avoir humiliée, insultée, poussée, giflée, cognée. Dévisagée, comme une moins que bien. Rejetée, comme une moins que rien. T'es la bête noire dénuée d'intelligence. Nous, on t'écrase sous une effusion de violence. Et puis un soir, j'me regarderai dans le miroir. J'ressentirai une pointe de regret. T'auras peut-être grandi depuis, jeune fille affirmée, aguerrie. Tu vivras pleinement ta meilleure vie. Et moi, j'serai là, à me dire qu'c'est trop tard. J'prendrai peut-être conscience que nous étions de vrais connards. © Alicia Alvarez
Photo d'origine : Laura Bourguignon
20 Commentaires
Vampilou
4/29/2021 07:47:47 am
Pfiou, percutant ce texte, il m'a donné des frissons...Une vision du harcèlement extrêmement incisive, violente, à l'image de ce traitement infâme !
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4/30/2021 05:58:00 am
Ohhhhh merci pour ton retour. ♥ Très inspiré de mon vécu malheureusement. J'espère que ça touchera le plus grand nombre !
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Lheuredelire
4/29/2021 07:52:18 am
Waouh ! Bravo !
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4/30/2021 05:58:27 am
Wow merci pour ce retour, je suis touchée (et sorry pour les frissons). ♥
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4/30/2021 05:59:13 am
Oui il est employé si facilement que je désirais le mettre, justement pour appuyer ce côté-là. Merci beaucoup ! ♥
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4/29/2021 02:09:42 pm
Wow, encore un texte hyper fort, j'ai quelques frissons.
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4/30/2021 05:59:42 am
Oh désolée pour les frissons mais merci pour ce commentaire qui me fait trop plaisir. ♥
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Manuel
4/30/2021 02:25:08 am
Un párrafo existencial directo y realista. Digno de reflexión. La pura verdad . Bien escrito y dirigido. Talento
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Sana Eck
4/30/2021 06:55:02 am
Ton texte ma donné les larmes aux yeux. Tes mots hurlent fort, et c'est extrêmement courageux de ta part 🙏
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5/3/2021 02:37:13 am
Coucou ! Merci pour tes mots. ♥ Je suis contente si ce texte arrive à toucher les gens. Merci, même si je vois ce courage comme une rédemption, une guérison. Pour le rythme, j'essaie de m'inspirer du slam de nos artistes français comme Grand Corps Malade ou encore Suzane. :-)
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Non mais cette claque dans ces mots ! Jamais je n'avais envisagé le harcèlement du point de vu du harceleur. Et même si je l'ai subit (attention, à une époque où le net n'existait pas, dans une bien moindre mesure mais tout de même assez pour me laisser un cauchemar en guise de souvenir du collège). Pour autant, j'ai compris adulte que les harceleur subissaient peut-être autant que ce qu'ils faisaient subir. Une horreur sans nom...
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5/3/2021 02:39:19 am
Merci pour ton retour ! ♥ Je compte écrire un roman sur le sujet, avec tant le pdv des harceleurs que de la personne harcelée. Certains souffrent autant, voire plus, et le font subir à une personne "tête de tuc" à l'école, c'est immonde, mais ça reflète bien notre système actuel qui déconne un peu. Dans ce texte, une partie est également écrite du pdv d'une prof (le "c'est de ta faute si on t'aime pas" jusqu'au "à quel point tu pleures" !). En tout cas, je suis triste que tu aies vécu ça et j'espère que maintenant tu te sens plus épanouie. ♥
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5/1/2021 10:00:16 am
Bravo pour ces mots percutants et bien pensés. Ta plume est magnifique.
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